La parole à l'organisateur
Le musée des Arts décoratifs et du Design de Bordeaux consacre une exposition à Felipe Ribon qui reçoit carte blanche pour investir les espaces de l'hôtel Lalande. Le designer imagine un parcours immersif au cœur des collections, inspiré par l'histoire étonnante du lieu et de ceux qui l'ont habité depuis la fin du 18e siècle. Seront mis en dialogue deux de ses projets les plus récents : "Mind the Gap" et "ae – objets médium", fruits de son questionnement sur notre rapport au sensible.
Après avoir poursuivi des études d'ingénieur à l'Ecole des Mines de Nantes, Felipe Ribon intègre l'Ecole nationale supérieure de création industrielle (E.N.C.S.I – Les Ateliers), d'où il sort diplômé en 2008. Il commence son parcours professionnel au sein du studio Bouroullec, qu'il quitte en 2012 pour entrer comme pensionnaire à la Villa Médicis à Rome. C'est là qu'il développe son travail sur les objets médiums, faisant suite au projet Mind The Gap.
"Mind the Gap" – développé et produit en 2012 avec le soutien des Audi Talents Awards dont il est le lauréat – a pour ambition de mettre l'hypnose à la portée de tous. Largement utilisée dans le cadre thérapeutique, aujourd'hui enfin pratiquée dans les hôpitaux, l'hypnose est également garante de bien-être ; il s'agit d'un processus nécessaire et naturel que nous avons pourtant appris à fuir au profit de la productivité mais aux dépens de notre propre équilibre. Felipe Ribon conçoit bols, tapis, tables ou autres pièces de mobilier pour favoriser la transe hypnotique.
Imaginant de nouveaux territoires pour le design, Felipe Ribon contourne les frontières posées par le rationalisme cartésien, en restant cependant fidèle aux exigences de sa discipline. "ae – objets médium" est ainsi une série d'objets dont la fonction principale est de faciliter la prise de contact avec l'au-delà. Avec des tables tournantes, des tablettes d'écriture automatique et des talking boards, Felipe Ribon enrichit un vocabulaire d'objets resté inchangé depuis le 19e siècle, moment d'apogée du spiritisme. On connait, en effet, les cahiers de Victor Hugo compilés dans le Livre des Tables, rendant compte de ses séances de spiritisme organisées à Jersey, tout comme les Mémoires de Thomas Edison dans lesquels il écrit qu'il rêve de "fournir aux chercheurs spirites un appareil qui leur permettrait de travailler d'une manière strictement scientifique."
Le refus de contraintes conceptuelles, la remise en question des idées préconçues et sa méfiance vis-à-vis de tout ce qui semble évident sont des éléments clés dans la démarche du jeune artiste franco-colombien nourri d'un multiculturalisme qui le force à adopter avec aisance des points de vue surprenants et inhabituels. Il interroge la possibilité d'investir de nouveaux champs et de s'affranchir de la règle.
Constance Rubini, directrice du musée des Arts décoratifs et du Design, rencontre Felipe Ribon en 2009 à la Villa Noailles. Elle lui exprime immédiatement son enthousiasme pour le projet novateur de la salle de bain en tissus techniques (Another Bathroom) et, depuis, suit son travail. En 2010, alors commissaire générale de la biennale de Saint-Etienne, elle l'invite à concevoir une exposition qui ouvre sur une approche intuitive et expérimentale de la lumière contemporaine. Un sujet qui fait écho à son travail de photographe et au rôle primordial qu'il accorde à la matière lumineuse dans la révélation de l'existant. En 2012, Constance Rubini fait partie du jury qui lui décerne les Audi Talents Awards dans la section Design.
Felipe Ribon vient de remporter, en duo avec l'orfèvre Nicolas Marischaël, le 16e Prix Liliane Bettencourt pour l'intelligence de la main, pour leur œuvre Osmos.