La parole à l'organisateur
L’œuvre que compose Malik Nejmi est traversée depuis des années par sa double appartenance à la France et au Maroc. « J'ai deux mémoires. L'une est à l'extérieur de ma peau, et l'autre est dedans ; deux pays sensibles à mon regard qui ont fait de leur histoire un asile pour la famille », écrivait-il en 2006.
« Mon travail sur le Maroc se situe dans un espace transitoire, qui se parcourt dans les deux sens, en trois allers-retours : Images d’un retour au pays (2001), Ramadans (2004), Bâ oua Salâm (2005). Sorte de déclaration d’amour à ce pays, ce travail est d’abord un regard sur les miens, devenus désormais les protagonistes d’une histoire photographique.
La migration a eu pour conséquence la nécessité de continuer des relations sociales à la fois avec le territoire d’origine et hors de ce territoire. Tandis que mon père refusait de revenir au Maroc, l’histoire familiale voulait que le fils revienne. C’était alors à moi de recréer ce lien. Il apparaissait dès lors que mon travail questionnerait la mémoire, les lieux, les sentiments, la complexité de la séparation avec son pays et la façon dont nous vivions chacun le lien affectif avec la famille. Que je devais dépasser le simple constat d’une histoire « officielle » de l’immigration, pour évoquer la ghorba, l’isolement, la solitude d’un pays en rupture avec son imaginaire social, et recontextualiser l’image figée de « l’Arabe » qui rêve de partir.
Mes images ne s’inscrivent pas dans un drame humain « pris sur le vif ». Elles évoquent la dépression qui, d’un côté, envahit la jeunesse marocaine, et de l’autre, pèse sur les enjeux contemporains des migrations ; jusqu’à souligner la tension de l’action, le moment où les espaces se croisent, se superposent et réagissent. Le drame est ailleurs. C’est l’Afrique « blanche » meurtrie par la fiction du Protectorat. En somme, photographier le Maroc pour décadrer la France.
Car ni mon identité ni l’Histoire ne me laissent le choix : apatride et nostalgique à la fois. La relecture de mon album de famille, puis l’expérience des documents, des notes apposées au dos des images, comme la découverte du premier passeport de mon père, me permettaient de synthétiser les temporalités de différents événements de notre vie. Mes photographies succèdent aux représentations de notre vécu, elles montrent la reconstitution d’une histoire spirituelle, histoire dont le héros réapparaît à la surface de l’image dans sa durée.
Quand mon père écrit el Maghreb, cela signifie pour lui « le pays ». Le terme Al Maghrib al- Aqsâ, dit : « l’Occident lointain », soit aujourd’hui, la banlieue de l’Europe.
Malik Nejmi (site web), Agence VU, Prix Kodak de la Critique Photographique 2005, Mention spéciale Prix Nadar 2006.