La parole à l'organisateur
Note d’intention de Vincent Huguet
Don Quichotte peut aujourd’hui ajouter un exploit à la liste incertaine de ceux qu’il a réalisés : être l’un des personnages littéraires à avoir inspiré le plus grand nombre d’artistes, et jouir d’une postérité qui ne s’érode pas. Depuis la fin du XVIIème siècle, le catalogue des œuvres musicales consacrées à l’hidalgo ne cesse de s’étoffer et chaque époque réinvente son Don Quichotte. On l’a adoré bouffon, tragi-comique, avant de le rhabiller au XIXème siècle en figure christique puis au XXème siècle en personnage à la fois absurde et magnifique. Le théâtre aime Don Quichotte, lui qui le maltraitait si fort, ruant dans les tréteaux de maître Pierre ou s’attaquant à des comédiens qu’il prend pour des diables. Mais les deux sont indissociables et Don Quichotte pourrait bien être le saint patron de toutes les scènes du monde, qui quand le rideau s’ouvre nous font prendre des moulins à vent pour des géants et des ampoules pour des étoiles. Ce que vit Don Quichotte au cours de ses voyages, cette « folie » qu’il a de transformer ce qu’il voit, c’est à la fois le sens même de la création artistique, mais aussi ce que nous recherchons en entrant dans un théâtre. On s’assoit dans le noir et on a envie d’y croire. Où est la folie là-dedans ? « C’est un fou, mais c’est un fou sublime », répond Dulcinée aux moqueurs dans l’opéra de Massenet, qui s’achève par l’évocation de « l’île des rêves », la seule que le chevalier errant va vraiment léguer à Sancho, la seule qui restera aussi quand l’orchestre aura joué les dernières notes. Mais ses rêves ne sont pas aussi dérisoires qu’on le croit parfois, et l’organiste bordelais Charles Tournemire l’avait décrit avec cette belle formule : « un grand crieur d’Idéal ».
Don Quichotte est multiple, dans le roman de Cervantès comme à travers ses différents avatars dramatiques et musicaux. L’Opéra National de Bordeaux en réunit les plus étonnants, de Strauss à Ravel et Ibert en passant par Massenet et devient, avec ses deux salles, le territoire même qu’explore le chevalier de la Longue Figure, une nouvelle sierra pour ses expériences, sa soif de combattre l’injustice et de célébrer l’amour. Dans le roman de Cervantès, Don Quichotte est obsédé par le pouvoir des enchanteurs, qui perturbent notre raison et jouent avec elle ; le voici cette fois dans leur quartier général, là où l’artifice est un art et l’illusion un métier, là où toutes les apparitions et tous les mensonges sont possibles. Don Quichotte dans la sierra lyrica…