La parole à l'organisateur
« Les marges, c’est ce qui fait tenir la page » Jean-Luc Godard
La pluie
Entre chien et loup,
Un homme, un sac éventré
Une rue détrempée
Une seule phrase. Soufflée par l’urgence des damnés de la terre.
Pas d’intrigue, tout a eu lieu avant.
Le narrateur demande une chambre pour la nuit, un abri.
Dans la pensée de Koltès, la solitude est le noyau de tout. Il faut donc trouver quelqu’un pour envisager un échange. Alors dans cette nuit juste avant les forêts, quelqu’un parle, se plaint, supplie, mais personne ne lui répond.
L’identité importe peu, c’est la pensée qui prime. Cette parole est celle d’un étranger c’est sûr. Les poches vides, dans le noir, il parle. Il appartient à la nuit, au noir profond, l’obscurité est son allié, une bonne couleur pour se cacher. Il fuit des drames récents, suicide d’une prostituée, agression de racistes, il n’a plus rien. Volubile, le narrateur nous apprend qu’il est victime. Parler pour tenir, résister. Trouver un nouveau sens à sa vie.
Et cette pluie continue, cette coulée de parole, ne peuvent s’arrêter. Il parle pour saisir le monde, il vous prend le bras, vous retient sous la pluie, vous ne pouvez interrompre son débit, et pour cause : Vous êtes le spectateur saisi, ému et séduit par cette parole essoufflée, par cette demande d’amour.
Etrange fascination pour celui qui n’a plus rien. Ni logement pour la nuit, ni aube qui espère.
Il reste ce désir urgent, violent, car s’il n’est partagé, il deviendra hostilité. Il est à la marge, juste avant les forêts. A la lisière ? Est-ce cela le désir de rejoindre le monde pour y devenir invisible ? Ou les forêts seraient-elles la tentation du retour au sauvage. Nous sommes à la marge.
Ce texte a été dans l’histoire du théâtre du XXème siècle, un tournant majeur. L’écriture contemporaine en est encore marquée. Ce soliloque est organique, il y a là une croyance fanatique dans la puissance de la parole. Elle sauve.