La parole à l'organisateur
L’aube est là et le musicien s’assoupi, seul dans son studio. Au-dessus des consoles des images se forment. Il voit des corps qui dansent à l’unisson dans un hangar, des adolescents perdus dans la musique, le chaos halluciné d’une foule qui bascule dans une nouvelle réalité. De ce rêve éveillé nait une chanson. Le musicien en perçoit la couleur, les contours, certains accords. Il ne faut pas qu’elle lui échappe : s’il s’endort, il l’oubliera, s’il ouvre les yeux, elle disparaitra.
Le morceau Lost in the Sound qui ouvre en majesté le neuvième album de Tahiti 80 parle de cet état hypnagogique, entre l’éveil et le sommeil, où l’on dérive en s’abandonnant aux forces mystérieuses de l’inspiration. Réalisé à distance du fait de la crise sanitaire par Xavier Boyer (chant, guitares), Médéric Gontier (guitares), Pedro Resende (basse), Raphael Léger (batterie) et Hadrien Grange (claviers) leur neuvième album, Here With You, s’est construit, à l’instar de l’esprit des raves de la fin des années 80, en suivant une idée directrice : celle de la communion par le son.
Depuis plus de 20 ans, le spectre unissant les membres de Tahiti 80 s’étend de la British Invasion du mitan des sixties au soft rock du début des eighties, de la sunshine pop à l’école de Canterbury, du bubble rock à la disco baléarique, d’Abba à Can en passant par 10cc si vous voulez. C’est sur les bancs de la fac de Rouen que le groupe se forme au milieu des années 90. La décennie écoulée a vu les barrières s’abattre entre le mainstream et l’underground, entre la dance music et l’indie rock, grâce notamment à la scène de Madchester, et Tahiti 80 va plonger dans le grand bain de l’histoire afin de forger sa propre identité. Avec son premier album, Puzzle en 1999, le groupe trouve d’emblée ses marques à l’étranger. Son succès aux États-Unis et au Japon sera constant et les albums qui suivront (Wallpaper for the Soul en 2002, Fosbury en 2005, Activity Center en 2008, The Past, The Present & The Possible en 2011, Ballroom en 2014, The Sunsh!ne Beat vol.1 en 2018, Fear of an Acoustic Planet en 2019) affineront, dans leurs variations, un son et un style. Celui d’un groupe dont le socle est le songwriting, celui de musiciens qui embrasent le passé pour mieux définir le présent, celui d’une fratrie qui élargit sans cesse sa palette pour enrichir son avenir.
Here With You frappe d’emblée par sa cohésion et sa diversité. Cohésion d’un son aérien et irradiant. L’auditeur ouvre la fenêtre et file vers la final frontier : la Californie, l’océan pacifique, la promesse d’un été sans fin. On y croisera forcement les fantômes des Beach Boys, de Fleetwood Mac ou de Donald Fagen. Diversité des directions empruntées : Vintage Creem nous balade du côté de la soul des Jacksons Five, UFO plane au-dessus d’un G-funk synthétique et rêveur (Dr Dre et Tangerine Dream se sont rencontrés dans un ascenseur ?), Breakfast in L.A. vogue au large en compagnie de Christopher Cross et d’Aphex Twin, Hot embrase le funk idéal de Chic, Wicked Wicked nous propulse dans la bubble factory des Monkeys. Si Here With You a les atours d’un album joyeux et insouciant, la mélancolie pointe pourtant dans des paroles qui scrutent le jeu des apparences, qui traquent le temps qui passe. « Le corps danse et la tête réfléchit » comme le dit si bien Xavier Boyer. La fin du voyage s’achève sur Let’s Get Started, une manière pour Tahiti 80 de remettre le kilométrage à zéro avant un nouveau départ ?
Le soleil s’est levé et le musicien s’est éveillé. Dans son studio tournoie une poignée de chansons rêvées, mais il n’a pas besoin de filet à papillon pour les attraper. Une guitare suffira. L’aventure de Here With You peut alors commencer.